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Venus du Nord et du Sud
12 décembre 2015

Cahiers de doléances de vignerons du Laonnois

Trouvé dans l'ouvrage "Baillage du Vermandois : élections des Etats Généraux de 1789" (Gallica / BNF), voici le cahier de doléances de la communauté de Chaillevois, dont la plupart des habitants sont, à cette époque, vignerons (j'ai rendu le texte plus facilement compréhensible, vous pouvez consulter l'original en utilisant ce lien : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k469101/f182.item.zoom) :

La communauté de Chaillevois est composée d'environ deux cents personnes, pères, mères, enfants et petits-enfants. La plupart des habitants n'ont aucune propriété, ceux qui en ont, c'est si peu de chose qu'il n'en faut point parler, ils sont presque tous vignerons c'est-à-dire qu'ils cultivent presque tous à la vigne comme mercenaires.

Un vigneron peut cultiver un arpent de vigne tout au plus on lui paie pour la culture d'un arpent de vigne de cent verges la somme de cinquante livres, en outre cinq livres pour l'entretien, jusqu'à la vendange, après la principale culture et cinq livres pour (réfouir) après la vendange, somme totale soixante livres.

Le vigneron est occupé à ces cultures depuis le quinze février jusqu'à la mi-novembre, neuf mois de l'année. Il est vrai que celui qui est capable de faire la moisson, peut la faire dans cet intervalle, s'il est bon ouvrier, sa moisson lui vaut une quarantaine de francs, s'il trouve occasion de faire quelques journées dans les autres trois mois, c'est si peu de chose que cela ne mérite point d'entrer en compte.

Il est évident par cet exposé que tout le gain d'un vigneron se réduit à environ cent francs par an, en supposant que la femme gagne moitié, ce qu'on ne peut pourtant pas supposer si elle a plusieurs enfants, le gain sera porté à cent cinquante livres. Avec cette modique somme il faut se loger, se nourrir, s'habiller ainsi que ses enfants.

La nourriture ordinaire est du pain trempé dans de l'eau salée que ce n'est pas la peine de dire qu'on y met du beurre ; pour de la chair on en mange le jour du mardi gras, le jour de Pâques et le jour de la fête patron, lorsqu'on va au pressoir pour le maître et lorsqu'on va aux noces. On peut aussi manger quelquefois des fèves et des haricots lorsque le maître n'empêche pas d'en mettre dans ses vignes.

Les frais du Roy en taille, capitation se montent à six livres non compris les frais de corvée ; pour celui qui n'a absolument rien il faut qu'il paie une livre de sel quatorze à quinze sols selon le nombre d'enfants.

Il en faudra une livre chaque semaine, (un) autre une livre par quinzaine, un plus un autre moins ; ce prix énorme est cause que plusieurs ne peuvent pas même manger ce qu'on appelle de la soupe ; que si par malheur le mari ou la femme et quelquefois l'un et l'autre a contracté l'habitude d'user du tabac, ce n'est qu'en se refusant le pain, et en refusant aux enfants qu'on peut en avoir une once de temps en temps.

Un pauvre vigneron vient-il malade (outre) son bien cesse ; si il appelle un chirurgien, ce chirurgien pour un voyage, une petite saignée, une méchante médecine, lui demandera plus qu'il ne gagne dans une semaine ; s'il est assigné de la part de quelqu'un pour dettes ou pour quelque autre sujet, un huissier lui fera payer plus qu'il ne gagne dans deux semaines ; une sentence pour le moindre objet possible le ruinera de fond en comble, c'est le plus grand fléau que celui de la justice.. S'il dépouille une pièce de vin, il ne lui est point possible d'en vendre une bouteille au détail, et il faut qu'il meurre de faim en attendant qu'il trouve à vendre en gros, et alors il faut donner sept ou huit francs à la ferme.

Voilà comment le petit peuple est heureux sous les meilleurs des rois, au milieu d'une nation qu'on vante comme la plus généreuse de toutes les nations, dans un siècle où on ne parle que d'humanité et de bienfaisance, et cependant c'est ce petit peuple qui est la portion la plus précieuse de la nation, puisque c'est celle qui travaille le plus. Le sort des gens de travail est à peu près le même partout, ils ont à peine du pain à manger, et de l'eau à boire et de la paille pour se coucher, et un réduit pour se loger ; leur état est pire que celui des sauvages de l'Amérique ; si les rois savaient ce que valent trois sols, et qu'il y a des millions d'habitants dans son royaume qui, en travaillant depuis le matin jusqu'au soir, n'ont pas trois sols pour vivre, car cela est évident d'après les calculs qu'on vient de faire.Telles sont les doléances des habitants de Chaillevois. Dieu veuille qu'il touche les entrailles de Sa Majesté et des Etats-Généraux qui vont être assemblés pour opérer à la régénération de la France.

En foi de quoi nous avons signé : Joseph Flament ; Balidoux ; Flamant ; Aubin ; Druet ; Joseph Payen.

 

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